De retour à Ithaque, Ulysse a pris soin de se déguiser en mendiant pour ne pas être reconnu. Pénélope le reçoit cependant avec bienveillance tout en ignorant à qui elle a affaire. Elle ordonne même à sa servante, la vieille nourrice Euryclée, de lui laver les pieds en signe d’hospitalité. Euryclée, tout en s’affairant, fait remarquer à ce mendiant qui revient de loin qu’il doit avoir environ le même âge que son maître, Ulysse. Et voilà qu’elle découvre sur sa cuisse une cicatrice qui lui apprend qu’elle a bien affaire à celui-ci en personne. Elle pousse un cri de joie, mais Ulysse lui enjoint de se taire. Il ne veut pas que son secret soit dévoilé aussi vite.
Ce thème du guerrier qui revient dans l’espace familial où l’épouse l’attend depuis des années, depuis une éternité peut-être, travaille depuis longtemps Simon Abkarian. Comédien, metteur en scène, il n’a pas oublié ses années d’enfance au Liban dans un monde paradisiaque où le ciel est toujours bleu mais où la guerre n’a pas tardé à rendre la vie intenable. La guerre est non seulement ce qui éloigne l’homme du foyer, mais aussi ce qui le transforme, voire le déforme. À tel point qu’il en est devenu méconnaissable quand il se présente de nouveau devant les siens. Que devient alors la vie quotidienne avec cet homme qui n’est plus tout à fait le même ? Pour Simon Abkarian, le long périple d’Ulysse de retour de la guerre de Troie était une façon de se racheter de la violence des horreurs commises.
Car, au fond, ce qu’Ulysse redoute le plus c’est que Pénélope ne le reconnaisse pas. Et, pire encore, qu’une fois qu’elle l’a reconnu, elle lui dise : « Tu ne peux pas rester, tu n’es pas prêt, tu dois repartir ». De son côté, elle continuera à l’attendre, même si cela doit durer toute la vie. Tel est l’enjeu de ce spectacle imaginé par Simon Abkarian où il entremêle des témoignages tirés de son histoire personnelle avec le récit imaginé par Homère. L’ensemble a la forme d’une saga dont il ne resterait que des fragments avec, au centre, non seulement l’homme revenu de la guerre et la femme qui l’a attendu toutes ces années, mais aussi leur jeune fils qui ne pense qu’à une chose, partir à son tour pour en découdre contre l’ennemi. Comme s’il s’agissait d’un cycle infini.
D’après moi, tout au théâtre converge vers un centre. C’est l’acteur. Le plateau est le lieu de cette convergence, de cette ruée, de cet exode. Dans cette histoire, Pénélope, ô Pénélope, le centre, le point culminant c’est la femme, la mère. Une femme que l’on rencontre au coin de la rue, aujourd’hui, une femme d’un autre continent, que l’on voit souffrir aujourd’hui. Son costume c’est le notre, étoffe actuelle couverte de la poussière du temps et d’étoiles.L’espace de jeu, de cinq mètres par cinq, nous amène à un jeu dessiné, intime et pourtant épique et bien entendu, toujours festif.
La musique n’étant jamais loin pour redonner un souffle secret à la tragédie heureusement insurmontable. Au fond de la scène un rideau ; l’espace imaginaire. Les revenants, des fantômes, ne se reconnaissent pas jusqu’à ce que le théâtre arrache les voiles qui nous séparent. Une porte de tous les possibles, une table, objet rituel et magique où s’enlacent « en chantant et dansant » la victime et son bourreau. Tout cela est offert au public avec parcimonie de sang et de larmes « toujours en musique » évidemment.
Simon Abkarian
De :
Mise en scène :
Collaborateur Artistique :
Création de Lumière :
Avec :