Hélène après la chute peut être considéré comme le deuxième volet de Ménélas Rebétiko Rapsodie, créé en 2012 par Simon Abkarian. Nous assistons aux retrouvailles d’Hélène et de Ménélas, après la chute de Troie. Cette tragédie se situe au moment fatidique où le temps s’arrête et où les personnages qui sont censés être l’un à l’autre, ne savent plus se reconnaître. Ils ne savent plus croire, ni au retour, ni à la résurrection de l’autre.
Malgré leurs yeux et leurs oreilles, ils nient l’évidence même de la présence, et exigent autre chose qu’un corps. Ce qu’ils veulent, c’est un souvenir venu du fond de leurs mémoires, un récit qui saurait déjouer les doutes les plus coriaces, un secret qui les lierait dans la nuit de leurs étreintes perdues. Ce sont ces retrouvailles tant redoutées, ce moment fatidique où deux âmes tremblantes sont livrées l’une à l’autre.
Une pâture où il n’y a ni à gagner ni à perdre. Dans cette nuit qui n’en finit pas de les engloutir, elle et il se jaugent comme la louve son loup. Ils ne se croient plus, ne se reconnaissent plus. Pourtant dans un jadis, ils furent l’une et l’autre à la même forêt, à la même lune, à la même nuit.
Note d'intention
Troie vient de tomber. Pendant que les Grecs se partagent le butin des perdants, un homme et une femme se retrouvent. Ménélas convoque Hélène prisonnière dans la chambre même qu’elle partageait avec Pâris. Tout est faste. Lui a tout mis en scène, tout anticipé. La confrontation tant attendue et redoutée va avoir lieu. Il va pouvoir la tenir enfin et lui dire ce qui, pendant dix ans lui, a rongé le cœur. Le lit est défait, encore chaud. Cette nuit-là, sans savoir comment lui redire son amour, il veut lui faire mal, la faire souffrir comme lui a souffert. Ce n’est pas un acte pervers, ni une vengeance désespérée, mais une impuissance inavouée, une colère rentrée, une respiration qui cherche sa longueur, une douleur qui cherche son verbe, un souffle amputé de ses nageoires qui voudrait remonter le cours du temps perdu. Toute vêtue d’ombre et de lumière, Hélène la plus belle femme du monde fait son entrée. Elle porte encore ses habits de fêtes qui, deux nuits plus tôt, célébraient le départ des Grecs. Il et elle se regardent, se toisent comme des fantômes qui ne se souviennent plus.
La parole peine à forcer les portes du silence. Pourtant il leur faudra se parler, il leur faudra faire théâtre, refaire monde et civilisation. Une autre guerre commence, ou plutôt recommence. Les mots sont choisis, acérés, ils frappent et se rendent coups pour coups. Hélène est aux aguets, plante ses griffes et ses crocs dans l’épaisseur des silences de cet homme qu’elle ne reconnaît plus, qu’elle va redécouvrir. Entre ces deux êtres dévastés, danse au son du piano, une morte Aphrodite. Renaîtra-t-elle de ses cendres ? Sur la scène, les miroirs renvoient les reflets de ce corps à corps qui se redoute et s’admire. Cette pièce raconte ce combat-là, cette nuit -à, cette danse-là, ce jadis-là. Dix ans de guerre et un massacre plus tard, deux âmes dévastées se redécouvrent.
Elles tanguent à l’orée de la mort, donc d’une renaissance. J’ai imaginé cette rencontre, me suis glissé avec pudeur dans cette intime nudité. Ménélas a toujours été décrit comme une brute possessive, un rustre incapable de comprendre, d’entreprendre l’amour. Et Hélène toujours dépeinte comme putain qui aurait trahi son mari. Les Grecs en on fait une faiseuse de guerre, le parangon de la femme qui en dérogeant à l’ordre établi, détruit l’équilibre des mondes. Cette pièce déjoue ces stéréotypes. Elle redonne de la grandeur et de l’ampleur à ces personnages mythiques dont les antiques et humaines aspirations ne sont pas étrangères aux nôtres.